Peter Milton Walsh, ce géant

























1 mètre 72, peut-être 73.
58 kilos tout mouillé. Et encore, peut-être même pas... Un poids plume, un corps fin, ultra-light, presque fragile. Non, fragile.

Mais à l'intérieur de ce corps habite un géant. Je pèse le mot, et d'un coup ma main s'alourdit. Oui, un GEANT. Un très très grand homme de la musique pop(ulaire) contemporaine... Un auteur de chansons d'une profondeur exceptionnelle. Un homme aux goûts et à l'exigence esthétique d'une rare ambition. Un type qui vise haut. Trop peut-être.

Cet homme vit aujourd'hui à Sydney (dont il ne part que trop rarement). Son génie est intact, quoiqu'injustement inexploité. Le monde devrait le savoir ? Sans doute... Mais tant pis pour lui. Le monde ne saura pas. Peter Milton Walsh est un géant sur une planète de nains distraits et insouciants.

Le label français Talitres ressort ces jours-ci l'un des disques de l'artiste australien. Cet album s'appelle Drift, il est signé The Apartments, et date de 1992. Il ressort aujourd'hui en version enrichie et re-masterisée (et oui : ça s'entend, le son est formidable, plus clair, plus épais).

Si vous n'avez jamais entendu cet album hors-normes, vous avez une chance formidable, votre moment est venu. Lucky you.

Qu'y entendrez-vous ? La plus harmonieuse des rencontres entre des instruments qui, sur des milliers d'autres disques, jouent bêtement des coudes. Voilà (au delà évidemment de la qualité d'écriture des mélodies et des textes) ce qui m'a toujours le plus épaté chez Peter Milton Walsh : dans sa musique, les guitares, la basse, la batterie (très présente, cruciale même, sur Drift), la voix, les choeurs, tous avancent dans le même sens, d'un même pas décidé, presque véhément : ces chansons sont souvent comme le tout dernier pas, le dernier point de passage avant que la colère prenne le dessus. Sur l'essentiel de Drift, on sent que Peter pourrait tout envoyer valser, là, dans une seconde ou deux... et c'est à se demander si ces chansons ne sont pas son dernier recours.

Mais avant cette rupture qui menace, il semble atteindre ce moment de grâce, cet instant magique où tout fait sens, où tout converge dans une même tension à la fois écrasante et salvatrice : c'est comme si chaque instrument, chaque corde frottée, chaque contact de baguette sur le peau de la caisse claire ou le métal du charleston, émanait directement de son cerveau survolté, affamé, tendu vers l'obsession de la beauté, d'une beauté.

Musicien, il est assurément. Parolier sombre et élégant également. Mais Peter Milton Walsh est aussi, je crois, l'extraordinaire metteur en scène de son propre film musical. Pas étonnant qu'il aime autant le cinéma, celui de Jacques Audiard notamment.

Je pourrais lister au moins dix moments qui me font frissonner à chaque fois quand j'écoute les chansons de Drift. Des moments où éclate au grand jour ce fascinant talent d'ordonnateur.

Mais un instant surtout, tout de suite, me vient à l'esprit. C'est une phrase, juste une phrase, mais scandée à deux voix : deux fois la sienne, en fait, dans un choeur siamois tellement juste et poignant, 2 minutes et 50 secondes à l'intérieur de The Goodbye Train, la chanson qui lance le disque (comme on jette un pavé dans un carreau). "You tear your dress, you tear your stockings", chantent les deux voix d'homme blessé.

Et silencieuse se fait la mienne quand j'entends pareille beauté... •




The Apartments, Drift, ré-édition (avec 3 titres supplémentaires),
Riley Records/Talitres.

Pour aller plus loin :



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